Après une escarmouche de cavalerie victorieuse sur le Tessin, à la mi-novembre, Hannibal doit absolument obtenir une victoire décisive sur les légions romaines, cela pour raffermir la foi chancelante des tribus gauloises de Cisalpine, ses alliés, et établir une base solide en Italie du Nord...
Justement, non loin de la Trébie, un affluent méridional du Pô, se trouvent deux armées consulaires; l'un des généraux, Publius Cornelius Scipio, blessé lors du combat du Tessin, se méfie et conseille de rester prudemment à l'abri du camp fortifié en attendant des renforts. Par contre, Tiberius Sempronius Longus a hâte d'en découdre. Hannibal, fin psychologue et maître dans l'art de l'embuscade, décide de provoquer les Romains et d'endormir leur méfiance: il déploie ses troupes sur un terrain dégagé, où il semble qu'aucun piège ne soit possible... tout en cachant dans le lit broussailleux d'un ruisseau, bien à l'écart du champ de bataille, une force d'élite de 1000 cavaliers numides et 1000 fantassins, sous les ordres de son jeune frère Mago. Malgré l'heure matinale, Hannibal a veillé à ce que tous ses hommes aient pris un repas chaud et se soient protégés du froid vif en s'enduisant le corps d'huile.
Le carthaginois envoie ensuite des troupes légères pour harceler et provoquer les Romains. Le résultat ne se fait pas attendre l'armée ennemie, sans même prendre le temps de se sustenter, quitte ses cantonnements et se forme en bataille face aux Carthaginois. Le déploiement latin est des plus classiques, on pourrait même dire qu'il manque cruellement d'originalité : les quatre légions de citoyens romains (16000 hommes) au centre sont encadrées par celles des alliées (20000 légionnaires). Chaque légion est dans sa formation habituelle, en quatre lignes où se succèdent vélites, hastaires, principes et triaires. Sur l'aile gauche prennent place 3000 cavaliers alliés; à droite, le reste de la cavalerie - 1000 Romains - et les quelques alliés gaulois de la tribu des Cenomans.
Face aux redoutables légions et à leur technique de combat éprouvée, Hannibal sait qu'il n'a aucune chance lors d'un choc frontal. Il décide donc de fixer le centre romain, détruire les ailes en utilisant la supériorité punique en cavalerie et se rabattre ensuite dans le dos des légions sans défense; une intervention opportune de Mago sur les arrières romains ne pouvant qu'accroître le désordre et la confusion...
Pour se faire, Hannibal dispose de 30000 fantassins, dont un tiers de Gaulois. Il déploie ses Espagnols et ses alliés gaulois au centre. Double avantage : d'une part cela flatte l'orgueil celte de se trouver à la position d'honneur, où ils peuvent donner libre cours à leur sport favori, la charge impétueuse! D'autre part, Hannibal économise ses maigres et précieuses troupes africaines.
Une ligne d'infanterie légère couvre le front de cette infanterie «lourde». Sur les ailes, Hannibal répartit équitablement ses 10000 cavaliers - 3000 Numides, 2000 Espagnols et 5000 Gaulois -, ses 37 éléphants et son infanterie de choc, la phalange africaine.
La bataille se déroule exactement comme prévu. Après un combat de tirailleurs, les infanteries «lourdes » en viennent aux mains; dans le même temps, les deux ailes romaines ploient et rompent sous le nombre, laissant le centre exposé. Il ne reste plus qu'à tailler du Romain. L'armée italienne se désintègre, se désagrége... De nombreux fuyards se noient dans la Trébie en crue. Seuls 10000 légionnaires sortent vivants de cet enfer en perçant le centre carthaginois et en se repliant à marches forcées vers Plaisance. Les pertes puniques sont faibles, principalement des Gaulois, d'ailleurs considérés comme de la « chair à pilum » par les Carthaginois.
Hannibal n'est peut être pas encore aux portes de Rome, certes, mais il vient de franchir victorieusement celles de l'Italie. En cette matinée de décembre, le triomphe de la Trébie établît le prestige de Carthage parmi les tribus celtes et, à court terme, permet à Hannibal et à ses troupes d'hiverner en toute quiétude dans la plaine du Pô.
Ce premier succès significatif des armes puniques sur le sol italien marque le début d'un long conflit où Hannibal fera preuve de ses qualités de fin diplomate et de grand capitaine, infligeant de mémorables défaites à Rome. Ironie du destin, seize ans plus tard, à Zama, Scipion, dit l'africain, vengera son père, le Publius Cornelius Scipio du Tessin et de la Trébie en infligeant à Hannibal une défaite irrémédiable. Mais ceci est une autre histoire...